21 novembre 2016

aquarelle-pollution

La législation européenne relative à la qualité de l’air comprend trois catégories de textes :

  • les directives sur la qualité de l’air (2004/107/CE, 2008/50/CE)
  • (2) la directive relative aux seuils d’émission nationaux (2001/81/CE : directive NEC pour National Emission Ceilings)
  • (3) les directives et règlements relatifs aux sources : émissions industrielles, émissions et procédures de test des véhicules (directive 2007/46/CE, règlements (CE) n° 715/2007, (CE) n° 692/2008, (UE) n° 371/2010, (UE) n° 459/2012, …)

Le respect des seuils fixés dans les deux premières catégories incombe aux pouvoirs publics des Etats-Membres qui sont par ailleurs soumis au bon respect des normes sectorielles par les acteurs de ces secteurs. Ainsi, le non-respect des normes d’émissions d’oxydes d’azote par les constructeurs automobiles induit des concentrations trop élevées dans l’air et un dépassement des plafonds d’émissions nationaux. Dépassement dont les Etats concernés sont responsables devant la Commission Européenne.

Qualité de l’air : un manque de finesse

La législation relative à la qualité de l’air prescrit la réalisation de mesures qui ont pour objectif de quantifier les concentrations moyennes auxquelles est soumise la population. Ces mesures ne peuvent donc pas rendre compte de l’hétérogénéité de la qualité de l’air.

  • La directive 2008/50/CE définit, en son article 2, « l’air ambiant » comme « l’air extérieur de la troposphère » et les « lieux caractéristiques de la pollution de fond urbaine » comme « des lieux situés dans des zones urbaines où les niveaux sont représentatifs de l’exposition de la population urbaine en général ».
  • Il est spécifié, à l’annexe III de la même directive, qu’ « un point de prélèvement doit être implanté de manière à ce que l’air prélevé soit représentatif de la qualité de l’air sur une portion de rue d’au moins 100 m de long pour les sites liés à la circulation […] Les points de prélèvement sont, en règle générale, représentatifs de plusieurs kilomètres carrés […] la sonde d’entrée n’est pas placée à proximité immédiate de sources d’émissions, afin d’éviter le prélèvement direct d’émissions non mélangées à l’air ambiant ».

Le nombre de points de mesure est fixé à l’annexe V de la directive. En ce qui concerne les sources diffuses, pour les agglomérations dont la population ne dépasse pas 249.000 habitants, il est obligatoire d’avoir au moins un point de prélèvement (deux pour les PM).

On peut raisonnablement estimer que, localement, et parfois de manière temporaire, les seuils d’exposition soient très élevés par rapport aux valeurs limites et valeurs cibles fixées par la législation européenne (lesquelles concernent des périodes de 1h, 8h, 24h ou 1 an). « Les récents projets en matière de santé et environnement, soutenus par la politique scientifique, vont dans le même sens. Ils estiment que les réseaux fixes traditionnels ne suffisent pas pour la protection de la santé publique et que des campagnes évaluant l’exposition personnelle aux polluants issus du trafic sont indispensables ».1 En Wallonie, ceci a mené l’AwAC et l’ISSeP à réaliser des campagnes de mesures en utilisant du matériel mobile (remorques équipées, appareils portables) au niveau d’une ville (respectivement Namur et Liège) afin de quantifier l’hétérogénéité de la qualité de l’air.

Dans le cadre du projet ExTraCar (exposition au trafic et carbone noir) mené sur le territoire de la ville de Liège de 2014 à 2017, l’ISSeP a mesuré la teneur de l’air en carbone noir, polluant compris dans la fraction la plus fine et particulièrement toxique des particules en suspension qui est un bon indicateur de la pollution par le trafic. Les mesures réalisées sur différents parcours urbains ont permis de mettre en évidence « les concentrations de fond, les effets locaux défavorables (hot-spots liés à l’intensité du trafic, à la congestion, aux autobus, aux voiries en canyon) ou au contraire favorables (configuration ouverte de la voirie, espaces verts, sites propres pour la mobilité douce). »2

En 2011, l’Association Santé Environnement France (ASEF, qui réunit plus de 2 500 médecins), menait une opération de mesure de la qualité de l’air à Aix-en-Provence3. L’objectif était de « faire une photo » permettant d’observer et de montrer ce que respirent les bébés aixois en poussette. A cette fin, deux poussettes équipées de capteur à PM2.5. ont suivi deux parcours différents l’un dans les quartiers périphériques, l’autre en centre-ville. La figure 2 illustre l’importance des dépassements par rapport aux valeurs moyennes annuelles recommandées par l’OMS (10 μg/m³) et l’Union européenne (20 μg/m³).

schema parcours centre ville

Sur le parcours réalisé, les taux ne sont jamais inférieurs à 20 μg/m3. On observe des pics à des valeurs deux à trois fois plus élevées dans différents lieux dans lesquels (ou à proximité desquels) la circulation est particulièrement dense : zone de travaux, collège, marché, importante place publique. Sur tout le parcours, les taux relevés sont de 2 à 6 fois supérieurs à l’objectif de qualité de l’OMS.

Emissions du transport : un manque d’ambition et de contrôle

Les normes d’émissions sont régulièrement décrites par l’industrie automobile comme très ambitieuses, difficiles à atteindre, voire à la limite de l’exploit technologique. Pour mieux se rendre compte de l’outrance de ces vues et de la perméabilité des législateurs européens au plaidoyer de l’industrie, il est instructif de se pencher sur l’historique de la norme du nombre de particules émises.

Historiquement, pour quantifier les particules émises, c’est leur masse (en langage courant leur « poids », exprimé en kg) que l’on a mesurée et soumise à limitations. Début des années 2000, sur base d’études scientifiques mettant en évidence le caractère plus nocif des particules les plus fines, des pouvoirs publics ont, en Amérique, en Asie, et en Europe, décidé de développer des programmes scientifiques visant à mesurer le nombre de particules émises et à intégrer ces résultats dans leurs législations. En 2007, les résultats du programme de mesure des particules (PMP), auquel participaient différents pays européens et asiatiques, étaient révélés. Les émissions des voitures à moteur diesel équipées d’un filtre à particules étaient de l’ordre de 1011 particules par km4, tout comme celles des voitures à moteur essence conventionnel (avec injection en amont des soupapes). Les véhicules à moteur essence à injection directe dans la chambre de combustion (en cours de généralisation depuis plusieurs années) émettaient de 1012 à 1013 particules/km (mille à dix mille milliards), proches en cela des véhicules à moteur diesel non équipés de filtre à particules (5 1013 particules/km). Parmi les véhicules diesel équipés de filtres à particules testés, un seul, dont le filtre présentait un substrat plus poreux que les autres, donnait de moins bons résultats : environ 6 1011 particules/km5.

C’est cette dernière valeur qui a été retenue pour les normes Euro 5b (applicable à partir de 2013) et Euro 6 (applicable à partir de 2015). Ainsi, la norme relative au nombre de particules émises correspond aux performances du moins bon filtre à particules testé une dizaine d’années avant l’introduction de la norme.

Les valeurs limites définies par les normes sont donc moins ambitieuses que ne le laissent croire les discours des constructeurs automobiles. Et le travail de lobby de ceux-ci n’y est pas étranger, comme il n’est pas étranger à une procédure d’homologation des véhicules plus que perfectible6. D’une part, les cycles de tests sont peu représentatifs des conditions réelles d’utilisation des voitures et la législation recèle de nombreuses « échappatoires » dans lesquelles s’engouffrent les constructeurs, considérant que tout ce qui n’est pas strictement interdit est de facto autorisé. Comme de démonter le rétroviseur extérieur droit pour améliorer l’aérodynamisme lors des tests sur circuit ou comme pré-charger la batterie à 100% et débrancher l’alternateur lors des tests en laboratoire. D’autre part, les constructeurs choisissent et paient les organismes agréés qui réalisent les tests de leurs véhicules. Un peu comme si un sportif choisissait et payait le laboratoire qui va effectuer son test antidopage. Et ce sans contrôle a posteriori par une autorité centrale : il n’existe en effet à ce jour aucun organisme européen qui supervise les homologations ni aucun test indépendant de véhicules en circulation pour vérifier la conformité de ceux-ci aux spécifications sur base desquelles l’homologation a été accordée. Ceci contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis où l’Agence de protection de l’environnement (EPA) est en charge de ces tâches.


1 ISSeP, 2014, projet ExTraCar
2 ISSeP, 2016, Approche et résultats d’ExTraCar, p. 1
3 ASEF (2011)
4 Soit cent milliards de particules par kilomètre
5 Parkin, C. (2007)
6 Courbe, P. (2015)

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